"ONG land", le pays des ONG. La France mérite ce surnom, tant sont nombreuses ses associations humanitaires et développementistes, œuvrant dans presque tous les pays du Sud. L'inverse est-il vrai ? Existe-t-il des ONG du Sud œuvrant sur notre sol ? Non, penserez-vous. Pourtant, des initiatives existent. Nous avons rencontré plusieurs associations du Sud installées en France.
Morceaux choisis
C'est à Paris que nous avons rencontré Boubacar DIOP, malien et responsable de l'association Bamako France Solidarité (BFS). "Notre organisation est née d'un constat d'urgence, explique Boubacar, celui de l'immense malaise social qui règne en France. Ce pays est vraiment une terre de paradoxes. Les magasins débordent de marchandises en tout genre, les affiches publicitaires présentent des personnes heureuses et souriantes. Et pourtant, on recense plus de 150 000 tentatives de suicide par an. Au moins 15 % des Français (es) souffrent de dépression, soit six fois plus qu'en 1970. Près d’un quart de la population consomme des anxiolitiques, des antidépresseurs ou des somnifères. Un record en Europe !"
Mais ce qui préoccupe le plus Boubacar, c'est la perte de sociabilité. "Ici, les gens ne se parlent plus, ou mal. L'aridité relationnelle, la solitude, le culte de l'apparence font des ravages. C'est pourquoi notre première action consiste à recréer du lien social, sur des bases de bienveillance et d'entraide".
Concrètement, BFS organise des soirées de voisinage. Un animateur-convivialité (AC) fait le tour des immeubles pour inviter les gens à partager un plat, une chanson, une histoire. "La participation et l'ambiance ne sont pas toujours au rendez-vous... Mais c'est normal, il faut du temps". note Boubacar, résolument optimiste.
Pour pérenniser son action, BFS forme des animateurs locaux. Ainsi Julien, animateur-convivialité à Evry (Sud de Paris) depuis deux ans. De retour d'un stage au Mali, il nous confie ses impressions : "Là-bas, la sociabilité et l'entraide sont impressionnantes ! Pas facile de recréer la même chose ici. L'un des principaux obstacles, c'est le manque de temps. En France, la plupart des gens vivent à un rythme fou. Ils passent deux heures par jour dans les bouchons, huit heures dans un bureau à respirer de l'air conditionné, quatre heures devant la télévision. Difficile de briser ce cercle vicieux".
La plus grande réussite de Julien ? "J'ai inventé un stage de 'détélétoxication'. Le premier atelier consiste à calculer le temps que chacun (e) passe devant le petit écran au cours de sa vie. Quand les accrocs du zapping réalisent qu'à 60 ans, ils auront passé 10 ans devant la télévision, c'est souvent un électrochoc. On aide alors les participants (es) à se désaccoutumer progressivement, à redécouvrir des activités plus créatives, collectives et conviviales. Les résultats sont parfois spectaculaires".
Encouragée par ces succès, BFS a établi une antenne permanente à Paris et diversifie ses actions. Nouveau chantier en cours : la revitalisation agricole. Explications de Liberté M'bouet, la responsable du projet : "La France traverse une profonde crise agricole. Les rendements de l'agriculture intensive sont prodigieux, mais à quel prix... Les sols sont détruits, les eaux sont polluées, les paysans disparaissent. Une impasse écologique et sociale !"
Mais la plus grande indignation de Liberté, c'est le goût des produits. "Regardez cette chose insipide ! s'exclame-t-elle, un fruit translucide à la main. Ici, les gens appellent ça une tomate... On devrait plutôt dire une pétrotomate ! Elle est cultivée dans une serre chauffée, sur une roche sur laquelle circule une solution nutritive, le tout géré par des dispositifs électroniques. Et encore, je ne vous parle pas des nitratabricots, des pesticerises ou des chimoranges... Après, on s'étonne que les petits Français préfèrent les fast food aux fruits et légumes frais !"
Les conséquences sur la santé sont déjà visibles, puisque la France compte 15% d'obèses. "Sans parler du gaspillage ! De quoi nous faire bondir, nous, maliens. 50% des salades produites intensivement sont jetées à cause du stockage et du transport !" s'indigne Liberté.
Pour contrer cette évolution, BFS a lancé le programme 'D'autres pommes sont possibles'.
"Nous allons rencontrer les gens directement dans la rue. Nous leur faisons goûter des pommes bio produites localement. Nous les invitons ensuite à rejoindre des marchés de producteurs locaux ou participer à une AMAP2. Ça marche plutôt bien." se félicite Boubacar.
Autre lieu, autre projet. C'est à Gaillac, petite ville du Sud de la France, que nous rencontrons Pablo POPITE, Délégué Général de Démocrates Sans Frontières (DSF), une ONG vénézuélienne.
"La première fois que je suis venu en France, j'ai été frappé par le vide politique, raconte Pablo. Les gens sont dépolitisés, ils n'ont quasiment aucun contrôle sur les affaires publiques. Sans parler du haut niveau de corruption qui règne au sein du gouvernement." Cette situation a encouragé Pablo à créer DSF : "Nous proposons aux mouvements politiques français notre expertise théorique et pratique sur la démocratie directe au Vénézuéla, sur le soutien des luttes sociales, la création de médias alternatifs, etc."
Une action souvent difficile. "La plupart des gens vivent une déconnexion entre leurs idéaux et leurs pratiques, y compris dans les franges les plus critiques de la population. J'ai en tête l'exemple de ce militant altermondialiste se promenant une canette de Coca-Cola à la main. Ou encore cette femme qui fredonnait une chanson anticapitaliste dans un rayon de supermarché. Sans parler de ceux qui se rendent à une conférence sur le pillage du pétrole africain... en voiture !"
Loin d'être découragé, Pablo reste cependant ironique : "Quand on sait que le mode de vie français consomme l'équivalent de quatre planètes, on s'inquiète quand certains altermondialistes affirment qu'ils veulent un autre monde..."
Dernière ONG rencontrée lors de notre enquête, Sens Du Monde (SDM). Cette association tibétaine basée en France lutte contre le tourisme de masse.
Padüp Purinsooh, anthropologue à l'Université de Lhassa, nous explique la philosophie de cette association créée en 2002 : "Au Tibet, les avions déversent chaque année des centaines de milliers de touristes occidentaux en mal d'exotisme. Cette situation déclenche des réactions d'ostracisme de la part des tibétains. Beaucoup ont peur de voir le Tibet devenir comme la Thaïlande, pays qui subit presque 20% de tourisme sexuel."
Pour endiguer ce racisme anti-blanc, SDM tente de traiter le mal à la racine, en menant des actions en
Occident, notamment en France. "Il faut décoloniser les imaginaires, affirme Padüp Purinsooh. Le tourisme de masse est l'une des conséquences du consumérisme occidental. Galvanisé par 50 ans de publicité, le Français cherche le bonheur conforme qu'on lui agite devant les yeux à grands renforts de publicité."
Concrètement, SDM envoie des équipes tibétaines en France. "Nous nous asseyons dans la rue avec des petits panneaux sur lesquels est marqué 'Une petite pensée pour sauver la planète SVP', explique Padüp. Les passants étonnés s'arrêtent, une discussion s'engage. Nos équipes sont sélectionnées pour leur vivacité argumentaire. En quelques phrases et quelques questions, elles déstabilisent les gens, les invitant à réfléchir aux besoins fondamentaux de leur vie. Vous savez, les Français traversent une grave crise d'hétéronomie. Ils ont bien du mal à imaginer autre chose qu'une vie conformiste, un travail, une maison, une auto, etc…
Avec SDM, nous leur permettons de réfléchir aux conséquences à moyen terme de ce mode de vie, notamment pour les générations futures. D'une certaine manière, nous sommes là pour 'donner faim à ceux qui ont du pain', ironise Padüp, le sourire aux lèvres. La France a besoin d'une soif de nouveaux désirs, une soif de liens sociaux, de démocratie, d'écologie !"
Réflexion sur le sens de la vie, recréation de lien social, repolitisation de la population... Vous l'aurez sans doute deviné, ces initiatives maliennes, vénézuéliennes et tibétaines sont le fruit de notre imagination débordante.
Une manière espiègle d'inverser, pour une fois, l'image habituelle de l'Occident seul bienfaiteur des populations du Sud. Un message aux amis (es) du Tibet, du Vénézuéla, du Mali et d'ailleurs : venez aider la France et les français à faire vivre la décroissance !